Scélérate : dessiner les forces invisibles de l’océan
Dans ma série de dessins intitulée Scélérate, j’ai exploré une thématique qui, bien qu’apparemment éloignée, résonne profondément avec les préoccupations qui ont traversé mon parcours artistique : la transformation des formes sous l’effet des forces du temps, du mouvement et de l’effacement.
Inspiré par l’immensité et la puissance des océans, ce travail s’est concentré sur les vagues scélérates, ces masses d’eau soudaines et imprévisibles qui surgissent pour bouleverser l’horizon. Par leur houle et leur écume, elles re-dessinent temporairement le paysage marin, créant un espace horizontal déformé, presque chaotique. Sous la surface, des forces mystérieuses entrent en résonance, repoussant et effaçant la ligne d’horizon dans un jeu de déplacements et de tensions.
Le fusain comme médium pour capter l’éphémère
Pour retranscrire ces phénomènes dans mes dessins, j’ai employé une technique au fusain que je cherchais alors à maîtriser. À travers des superpositions successives de couches de poudre, que j’effaçais partiellement au gommage, je tentais de rendre perceptibles ces forces invisibles qui animent la surface de l’eau. La méthode me permettait d’obtenir des nuances de gris vibrantes, évoquant les contrastes entre la profondeur sombre de l’océan et l’éclat fugace des crêtes d’écume.
Ce processus, à la fois méthodique et intuitif, reflétait bien la nature des vagues scélérates : un équilibre précaire entre ordre et chaos, entre calme et explosion.
Un point de bascule dans ma pratique
Scélérate a marqué un tournant dans ma manière de concevoir le dessin. En m’immergeant dans ces paysages marins, j’ai commencé à comprendre que ce n’était pas seulement la représentation du visible qui m’intéressait, mais aussi la captation de l’invisible – les forces et les idées sous-jacentes qui façonnent les formes que nous voyons.
Ce travail m’a conduit à pousser plus loin mon exploration du fusain, notamment dans ma série suivante, où j’ai approfondi cette technique en réduisant mes interventions à l’essentiel. Cette recherche de dépouillement et d’efficacité dans le geste a d’ailleurs ouvert la voie à une réflexion plus large sur le médium, que j’ai ensuite réinvestie dans ma série mentionnée dans Repenser le médium : quand le fusain dialogue avec l’estampe et la sérigraphie.
La résonance des forces naturelles
À travers Scélérate, je voulais capter non pas seulement la forme des vagues, mais ce qu’elles symbolisent : le mouvement incessant, la transformation perpétuelle, et cette capacité à effacer et à recréer les lignes d’horizon. Ce travail reste pour moi une exploration essentielle des notions d’instabilité et de puissance naturelle, une tentative de rendre visible ce qui, par essence, est insaisissable.