Quand la matière s’efface, l’idée demeure : deux sculptures comme points de départ

Dans ma pratique artistique, deux sculptures particulières ont joué un rôle clé dans ma réflexion sur la relation entre le monde matériel et l’immatériel. À travers elles, j’ai exploré comment les formes, même érodées ou fragmentées, continuent de résonner dans nos esprits et dans notre histoire collective.

C’est en revisitant ces œuvres que je me suis rapproché de la notion platonicienne des formes intelligibles: l’idée que derrière chaque objet sensible se cache une essence intemporelle, une «forme» immatérielle qui en constitue la véritable nature.

La sculpture de Quetzalcoatl : une méditation sur l’érosion et la mémoire

La première sculpture s’inspire de l’iconographie maya et représente Quetzalcoatl, le serpent à plumes, dans un état partiellement détruit. Érodée comme si elle avait traversé les siècles, la sculpture révèle, à travers les trous de sa surface, un dessin interne de son état originel.

Cette œuvre exprime une idée qui m’est chère: lorsqu’un objet physique se dégrade, il subsiste souvent une image mentale de ce qu’il était. Dans le cas de Quetzalcoatl, l’érosion ne détruit pas seulement; elle invite à imaginer ce qui a été, à reconstruire mentalement une forme perdue.

Lien avec les formes intelligibles

Platon soutenait que le monde matériel est une imitation imparfaite d’un monde d’idées intemporelles. Cette sculpture illustre cette notion : même lorsque la matière s’efface, l’idée persiste. Le dessin intérieur de l’œuvre agit comme une métaphore de cette idée universelle, immatérielle et intemporelle, qui reste intacte malgré l’érosion du temps.

    

Le mur en ruine et la résonance des formes

La seconde sculpture représente un fragment de mur en béton, marqué par un trou central, comme une cicatrice laissée par le passage du temps ou par une guerre. À travers ce trou, on distingue une petite sculpture ancienne, une Vénus, dont la forme semble épouser parfaitement celle du vide.

Autour de cette Vénus, gravées sur le mur, se trouvent des représentations historiques de cette figure mythologique: des œuvres d’artistes allant de Manet à Rubens. Cette juxtaposition met en lumière l’idée que certaines formes traversent les âges et les cultures, perdurant dans notre imaginaire collectif.

Lien avec les formes intelligibles

La Vénus, figure intemporelle, incarne une essence universelle. Le trou dans le mur, en résonance avec sa forme, symbolise le passage du matériel à l’immatériel. Même dans les ruines, ces formes continuent de réapparaître, témoignant de leur nature indéfectible et de leur lien profond avec l’humanité.

   

Un cheminement intuitif vers une réflexion philosophique

Ces deux sculptures m’ont amené à réfléchir à la manière dont l’art agit comme un pont entre le visible et l’invisible. Elles m’ont permis de comprendre, même intuitivement, des idées proches de la théorie platonicienne des formes intelligibles.

  • L’érosion comme métaphore du temps : La matière disparaît, mais l’idée ou la forme persiste, sous une autre forme – mentale, visuelle ou imaginaire.
  • Les figures universelles : Certaines formes, comme la Vénus, transcendent leur contexte d’origine. Elles sont des «formes intelligibles»: des idées intemporelles qui traversent l’histoire et les cultures.
  • L’art comme trace : En explorant ces thématiques, j’ai pris conscience que chaque œuvre, même lorsqu’elle se dégrade, laisse une trace – physique ou mentale – qui continue d’exister.

Une réflexion en perpétuelle évolution

Ces sculptures ont été un point de départ pour approfondir ma réflexion sur l’art, le temps et la mémoire. Elles m’ont conduit à interroger le lien entre le tangible et l’intangible, et à intégrer ces questions dans ma pratique artistique actuelle.

En les revisitant à travers le prisme de la théorie platonicienne des formes intelligibles, je réalise qu’elles incarnent une quête : celle de comprendre ce qui fait qu’une forme ou une idée perdure, malgré le passage du temps et l’érosion des matériaux.