De l'Artefact à la forme

Explorer la matière et l’idée : une série de dessins entre tangible et universel

Dans ma pratique artistique, je m’interroge souvent sur ce qui reste d’un objet ou d’une forme quand le temps fait son œuvre. Les artefacts archéologiques, érodés mais porteurs d’histoires, m’ont toujours fasciné. Leur surface abîmée et leur matière fragmentée racontent une histoire visible, mais ils évoquent aussi une idée plus vaste, une essence qui dépasse leur présence matérielle.

C’est cette dualité que j’ai voulu explorer dans ma récente série de dessins.

L’écho des artefacts : entre mémoire et métamorphose

Chaque dessin de cette série s’inspire d’artefacts réels – statues, bas-reliefs ou objets sculptés – qui témoignent des civilisations passées. Ces formes tangibles, souvent marquées par l’usure du temps, incarnent la mémoire collective de l’humanité. Elles représentent un point de départ concret : la matière façonnée par l’homme, porteuse de symboles et de significations spécifiques à leur époque.

Mais ces artefacts ne sont pas figés dans leur histoire. À mesure qu’ils se dégradent, ils perdent leur figuration précise, leur lisibilité. Ce qui reste, ce sont des fragments, des silhouettes presque abstraites qui laissent place à l’imaginaire.

La superposition des formes : rendre visible l’intangible

Dans chaque dessin, j’ai voulu juxtaposer deux niveaux de représentation :

  • D’un côté, des formes lisibles, directement inspirées des artefacts. Elles rappellent l’héritage de ces divinités mythologiques, ces figures qui ont traversé les siècles et nourri notre culture visuelle contemporaine.
  • De l’autre, des formes abstraites, intangibles et évanescentes, qui se superposent à ces artefacts. Ces formes plus fluides et insaisissables évoquent l’idée d’une essence universelle, quelque chose qui dépasse la matière visible.

Cette dualité entre le tangible et l’intangible reflète la notion d’eidos, telle que définie dans la philosophie platonicienne. L’eidos, ou "forme intelligible", désigne une réalité intemporelle et immatérielle, que les objets sensibles ne font qu’imiter.

    

Une invitation à la contemplation

Mon objectif, à travers cette série, est d’inviter le spectateur à aller au-delà de ce qui est visible. Ces dessins ne sont pas simplement une représentation d’artefacts ou de figures mythologiques ; ils sont aussi une réflexion sur le temps, la mémoire, et la manière dont les idées transcendent la matière.

En naviguant entre les formes lisibles et abstraites, le spectateur est amené à interroger ce qui fait l’essence d’une œuvre ou d’une idée. Qu’est-ce qui subsiste quand la matière s’efface ? Quelles histoires peuvent émerger des fragments laissés par le temps ?

Cette série est pour moi une manière de rendre hommage à l’histoire humaine tout en explorant les notions d’intemporalité et de transformation. À travers elle, je tente de saisir ce lien fragile entre le monde sensible, que nous pouvons voir et toucher, et le monde intelligible, fait d’idées et de significations universelles.

    

De l’eidos à l’épitomé : résumer une forme, capter une essence

En cherchant un nom pour cette série, le mot épitomé m’est apparu comme une évidence. À la croisée de la philosophie et du langage courant, ce terme désigne un résumé, une réduction qui conserve l’essence d’un sujet. Il entre en résonance avec le concept d’eidos, cette idée platonicienne d’une forme universelle et intemporelle.

Mes dessins explorent cette tension entre matérialité et abstraction. Quand une image est réduite à ses éléments essentiels, perd-elle de son sens ou révèle-t-elle, au contraire, quelque chose de plus universel ?

Laisser place au vide : l’épitomé à son apogée

Avec le temps, j’ai commencé à réduire encore davantage mon intervention. Dans certains dessins, je renonce au contraste additionnel, laissant les figures en suspension, comme des échos ou des fragments.

Ces dessins, à la fois intangibles et puissants, incarnent l’esprit d’épitomé : un équilibre fragile entre présence et absence, où chaque trait compte. Ils rappellent que parfois, c’est ce qui manque ou disparaît qui révèle l’essence de ce qui est.

    

Trouver un équilibre entre flottement et profondeur

Dans un premier temps, ces figures obtenues par aspiration semblaient flotter, presque trop éthérées. Pour contrebalancer cette légèreté, j’ai introduit une seconde étape : des traits plus noirs, dessinés directement au fusain brut, pour ancrer certaines zones de l’image. Ce contraste non seulement stabilise la composition, mais ajoute aussi un sentiment de profondeur et de volume.

Ce dialogue entre la lumière révélée et les traits sombres rappelle une dualité : celle du visible et de l’invisible, du tangible et de l’intangible.